Installation
After Faceb00k: À LA DOUCE MÉMOIRE <3
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After Faceb00k est un projet amorcé à Montréal en 2012 par un collectif formé de deux jeunes artistes-chercheurs, dans le cadre d’une résidence au centre des arts actuels Skol. Fascinés par la proximité et l’intimité rendues disponibles dans les photographies partagées sur Facebook, les artistes prélèvent des images sur des pages Facebook «publiques» grâce à la capture d'écran à partir d’un profil «sans amis» forgé pour l’occasion, pour ensuite les réorganiser.

Relation au projet: 

Comme le nom du projet l’indique, il s’agit de penser le réseau social comme un objet historique, voué à disparaître et qui se doit d’être archivé. Les captures d’After Faceb00k montrent tout l’écran; on y voit la photographie partagée dans son milieu, c’est-à-dire le nom de l’individu ayant publié l’image, les métriques d’appréciation, les commentaires, l’adresse URL de la page où a été dénichée l’image, le nom du navigateur web, les différents onglets ouverts, la date et l’heure de la capture ou même le niveau de batterie des ordinateurs portables des artistes. Ces captures d’écran ont d’abord été regroupées par thèmes récurrents sur le site du projet; ensuite, des thématiques spécifiques ont été explorées plus en profondeur et souvent bien ancrées dans la région qui accueille le projet lors d’expositions. Il a donc pris différentes formes au Musée McCord en 2016 et à la ARTsPLACE Gallery à Annapolis Royal en 2015, à Latitude 53 à Edmonton, à SetUp Art Fair à Bologne, au Alternator Centre for Contemporary Art à Kelowna, à L’Écart Lieu d’Art Actuel à Rouyn-Noranda en 2014 et à l’Espace F à Matane en 2013. On peut discerner, dans cette réélaboration constante de l’exposition, un certain rapport à l’exhaustion.

Leur exposition la plus connue est certainement celle qui s’est tenue dans le cadre du 14e Mois de la photo à Montréal, commissarié par Joan Fontcuberta. Intitulée «À LA DOUCE MÉMOIRE <3 / IN LOVING MEMORY <3» et présentée au Musée McCord, elle prend la forme d’une installation qui aborde le deuil et les représentations de la mort en photographie sur Facebook. Des écrans faisant face au sol diffusent près de 6000 captures d’écran de pages Facebook liées à des groupes ou des profils «commémoratifs» de personnes décédées afin de leur rendre hommage en photographie. On peut voir des individus sur leur lit d’hôpital, dans leur cercueil, un autel érigé en leur honneur, ou encore une envolée de ballons, un selfie de la personne qui leur rend un dernier hommage, etc. Positionnées au-dessus des spectateurs, ces images présentées dans un flux rapide rappellent non seulement la montée au ciel des défunts, mais également le nuage informatique, lorsqu’il est compris avec les autres éléments de l’exposition: des serveurs bourdonnant, placés à la verticale sous les écrans, tels des pierres tombales. Faisant ainsi écho à l’exposition présentée à Edmonton en 2014 qui interroge les ressources matérielles et énergétiques nécessaires à la numérisation et au stockage de toutes ces pratiques qui passent en ligne, les serveurs ainsi posés dans la noirceur bleutée soulignent la nécessaire situation physique des données et la tangibilité des endroits où elles vivent. Elles sont certes matérielles, mais participent à un rêve d’immortalité bien mis de l’avant par cette exposition et nous poussent à penser la matérialité corrélative aux processus d’archivage.

Plus encore, «À LA DOUCE MÉMOIRE <3» se place dans un «après» la mort similaire à celui du «après» Facebook, exposant une nécessité de se souvenir et de documenter l’éphémère, le quotidien. Les spectateurs sont également invités à s’étendre au sol afin de se faire submerger par les flots d’images. Ce défilement hypnotique reprend l’effet de bombardement d’images expérimenté au quotidien et vient s’ancrer plus fortement dans un imaginaire du temps fluctuant. Le site Web du collectif présente en outre plusieurs de ces captures d’écran où il est possible de les observer plus longuement. C’est d’ailleurs le contenu de cette installation qui occupe tout leur site depuis, occultant en grande partie les expositions passés. En ce sens, After Faceb00k est un cas particulièrement riche pour aborder les tensions entre stabilité et instabilité de l’archive Web puisqu’il est lui-même un projet d’archive instable et fluctuant.

Discours / Notes: 

«Il n'est pas possible de savoir exactement combien d'utilisateurs décédés ont encore un compte Facebook. C'est une situation délicate à laquelle Facebook propose désormais une solution. Depuis 2015, il est possible de nommer un légataire à notre compte après notre décès. Mais par le passé, si l'utilisateur n'avait pas légué son code d'accès à un proche, le compte était voué à rester actif.»

«On remarque également que si le réseau social permet un éclatement du site de deuil, la temporalité du deuil est elle aussi amplifiée. D'une part, nous pouvons accéder au profil du défunt à n'importe quel moment du jour ou de la nuit. D'ailleurs, certaines des photographies recueillies étaient partagées en temps réel sur Facebook. D'autre part, nous étions parfois à quelques secondes d'un accident survenu en Afrique, ou parmi les invités d'un enterrement aux États-Unis. Dans toutes ces situations, on remarque que sur Facebook, le deuil peut se faire avec un public élargi qui ne compte plus exclusivement que les proches du défunt. Comme le contenu est partagé publiquement par les utilisateurs, on peut y avoir accès sans se lier d'amitié avec ceux-ci.»

http://www.residence-funeraire.coop/chroniques/after-faceb00k-douce-memoire-2479/