Alone time est un projet photographique de l’artiste montréalais J.J. Levine. Il s’agit d’une série d’images qui représentent toutes des couples de personnes captés dans une situation banale de la vie courante.
Alors que chaque image semble donner à voir un duo composé d’un homme et une femme, on réalise, à y regarder de plus près, que les deux individus distincts sont en réalité une seule et même personne qui incarne simultanément les deux rôles. J.J. Levine a donc produit ces portraits en demandant à chaque modèle de performer tour à tour les rôles féminin et masculin. La fusion des deux images est opérée numériquement, mais les modèles elleux-mêmes ne sont pas retouché.es (Levine précise, dans une note d’intention, que leur transformation passe uniquement par le maquillage et l’habillement).
En prouvant qu’un même individu est en mesure d’endosser les rôles sociaux féminins et masculins, la série pointe d’une part la superficialité des conventions genrées et leur potentielle fluidification et, d’autre part, la complexité des identités de genre de chacun.e, qui se résument peu souvent aux scripts stricts et binaires auxquels la socialisation nous invite à nous conformer.
Avec humour, Alone Time met aussi à l’épreuve la pertinence du modèle hétéronormatif qu’incarne le couple dans une société hétéropatriarcale. En effet, les mises en scène mobilisent les codes sociologiques de la photographie de famille, qui participe à créer puis maintenir l’étanchéité des prescriptions genrées. Par un jeu critique, la stratégie parodique en fonction de laquelle s’élabore la série dénaturalise donc à la fois le genre en tant qu’essence et le couple hétérosexuel comme modèle relationnel privilégié.
La série de Levine explore les potentialités de chaque corps dans une perspective genrée: chaque photographie est une démonstration par laquelle le sujet passe par les deux extrémités stéréotypées du spectre genré – non pas pour en épuiser les possibilités (elles sont au nombre de deux) mais plutôt pour montrer comment le binarisme efface l’ensemble vertigineux des expressions de genre possible. Le fait que l’on ignore d’ailleurs à quel(s) genre(s) s’identifient les modèles de Levine accentue cet état de fait.
En incarnant le féminin et le masculin sous le mode du pastiche, les modèles d’Alone Time semblent essouffler ce que Judith Butler nomme la matrice hétérosexuelle. Leur performance en démontre toute la caducité. La forme sérielle d’Alone Time participe fortement à la production de cet effet: elle nous rappelle que le genre est une pratique citationnelle qui devient opérante dans la compulsion et grâce au principe de répétition.
Le contenu même des mises en scène est lié à la notion de quotidien, qui est revisitée de manière critique dans chaque image. Les représentations de la domesticité et de la normalité passent par une exploration des actes journaliers et triviaux qui fondent la vie de couple hétéronormative.
Alone Time is a series of brightly coloured photographs of couples sharing intimate interactions of domestic life; however, each “couple” proves to be a single model, appearing as both the male and female character in the same frame. By demonstrating an individual body’s capacity to engagingly and believably embody two genders, my project questions the mainstream depiction of binary gender roles. This conceptual decision to double the gender presentation of a single body challenges normative ideas surrounding gender presentation and instead implies that gender expression can be fluid and multiple. As well, through the technical aspects of my work, I challenge representational tropes: while the individual photographs are shot on slide film, scanned, layered, and digitally collaged to create the final illusion of “two people,” no aspect of the subjects’ genders are digitally altered – the images are successful because they are visually convincing without manipulation of the subjects’ body through means other than makeup, costume, and pose, further emphasizing the notion that gender is malleable.