Lancée en 2020, The Election in New Babel de Brian James révèle deux principales préoccupations de l’imaginaire contemporain américain: 1) le reportage des élections fédérales et 2) l’usage omniscient des réseaux sociaux ciblés à des fins capitalistes. À ce titre, Facebook dépasse en notoriété tous ses concurrents grâce à son implication dans l’intrusion russe lors des élections présidentielles étatsuniennes, en 2016.
Quatre ans plus tard et peu avant les élections de 2020, The Election in New Babel vise à examiner, de manière aussi ludique qu'acerbe, l’étendue de l'algorithme de ciblage employé par Facebook et le rôle des médias dans la politique.
Au lancement de l’œuvre s’affiche le message suivant: «AudienScient est heureux de parrainer un accès illimité aux titres couvrant les élections de 2032, gratuit pour tous les segments démographiques. Les abonnements complets commencent à 89,99 $NY / 99,99 $CAN par mois. Optez pour le profilage psychographique biométrique amélioré pour un essai gratuit d’une semaine!» Le message contextualise l’œuvre dans un avenir proche et réaliste, proposant un cadre convaincant de ce que pourrait devenir le discours sur le vote pendant la prochaine décennie. L’internaute est donc positionné.e dans un rôle similaire à celui qu’iel joue actuellement: un.e citoyen.ne d’un pays capitaliste qui dépend d’Internet. En effet, il s’agit plus d’une optique hypercapitaliste, un univers parallèle où les informations sont payantes - et très chères - et où le journalisme s'appuie lourdement sur les données des internautes. Sans qu'on lui laisse le choix de refuser son consentement - le panneau affiché ne donne que l’option «Ok» au profilage psychographique biométrique -, l’internaute se plie à cette observation (bien évidemment fictive) de sa personne afin de démarrer l’œuvre.
Celle-ci est composée d’un générateur qui engendre des gros titres journalistiques sur des secteurs très précis de la population. Au premier regard, les phrases produites, telles que «Analysts project men who attended University of Southern California and are interested in engineering are leaning left» («Les analystes prévoient que des hommes ayant été inscrits à l’Université de Californie du Sud penchent pour la gauche») semblent représenter de vraies prédictions sur des secteurs démographiques. Pourtant, d’autres phrases révèlent la nature ludique et ridicule de l’œuvre: «Media elites fail to address concerns of men who are engaged and speak French» («Les élites des médias ne répondent pas aux préoccupations des hommes qui sont fiancés et parlent français»).
Le générateur, nourri de l'algorithme Facebookien qui prétend connaître les pensées et les vies intérieures de ses usagers grâce à des masses de données, propose un avenir dans lequel la technologie pourra prédire les tendances politiques grâce à des détails minutieux, tels que la marque de portable ou les habitudes de voyage.
De cette optique d'hypercapitalisme et de cette tendance à la hyperprédiction est issu le titre, «L’Élection en Nouveau Babel». Cette référence à Babel, ville de la tour mythique, implique la notion de multiplicité: de langue, tout comme le mythe, mais aussi d’informations, de secteurs démographiques et, en somme, de diversité. Le titre renvoit également à La Bibliothèque de Babel de Jorge Luis Borges, nouvelle dans-laquelle une logique recombinatoire est épuisée, étendue au point de rendre les livres entreposés illisibles. Dans un milieux confus, voir incompréhensible, le titre témoigne de plus d'une volonté de compréhension.