Espaces d’interaction est une pièce mixte (électronique et vidéo) pour deux percussionnistes composée par Felipe Merker Castellani. Elle a été créée le 19 juin 2014, puis reprise le 30 mars 2016 à l’Université Paris 8, par l’ensemble des Percussions de Strasbourg, et au CCRMIT à Montréal par l’ensemble SIXTRUM le 5 mai 2016. La vidéo a été réalisée par Alessandra Bochio. L’idée première de Felipe Merker Castellani a été de composer selon une approche du micro-son, de travailler à une échelle très réduite, selon un paradigme granulaire. Cette idée a ensuite été étendue à l’image, avec l’aide de Bochio.
Le traitement spatial du son s’appuie sur la librairie HOA, développée par le CICM (Centre de recherche Informatique et Création Musicale). Ce module de spatialisation du son nous amène vers deux états différents: un état de rotation, trajectoire aléatoire de sources ponctuelles, où la vitesse de rotation est contrôlée par la dynamique du son, et un état où il s’agit de mettre en mouvement dans l’espace des champs sonores plus larges, des champs diffus, eux aussi contrôlés selon la dynamique du son, notamment selon l’intensité des attaques de l’instrumentiste.
Le titre de la pièce fait référence à son processus même: le son capté par les microphones contrôle à la fois l’image et les traitements sonores en temps réel. On pourrait parler d’un réseau d’objet, dans une approche de composition orientée objets. Felipe Merker Castellani a voulu créer une logique selon laquelle un élément en influence toujours un autre. Dans Espaces d’interaction, il tente d’épuiser une conception des domaines artistiques cloisonnée, c’est-à-dire où l’on ne pense pas les interactions entre les arts. Selon Felipe Merker Castellani, il est difficile de créer du nouveau sans repenser l’interdisciplinarité et l’hybridation entre les arts. L’artiste n’est pas celui qui crée les choses à partir de rien, mais il travaille à construire des relations entre objets et disciplines, dans une perspective sensible, qui touche une communauté, ici celle des musiques mixtes et des arts expérimentaux.
Ainsi, le compositeur ne procède pas à l’épuisement des objets qu’il utilise. Au contraire, il réutilise des objets, des modules de traitement du son, des modes de jeu, et les fait interagir dans de nouveaux contextes, avec différentes disciplines, différents espaces, dans la perspective de construire des moments musicaux et scéniques à partager avec le public.
Espaces d’interaction propose des passages musicaux et visuels très écrits et d’autres presque improvisés, qui laissent une liberté d’interprétation à tous les acteurs de la pièce. L’espace des interactions est ici un espace composé entre les éléments suivants: la partition, les programmes vidéo et audio intégrant les interactions virtuellement composées à partir d’une approche orientée objet, leurs échelles, leurs relations de correspondance (mapping), le dispositif scénique. Les interprètes-performeurs (instrumentistes, performers audio et vidéo) actualisent ces interactions à chaque nouvelle performance de l’œuvre.
La partie visuelle est composée de quatre vidéos déjà fixées, qui subissent des filtrages d’intensité de brillance en fonction du jeu instrumental, mais également du simple déclenchement des différentes vidéos, en passant rapidement de l’une à l’autre.
La partie électronique de la pièce est composée de quatre modules: des lignes à retard, de la granulation, un buffer qui permet de garder en mémoire une séquence sonore d’une durée donnée, et un module de spatialisation du son développé avec HOA. Les événements de cette pièce s’organisent beaucoup autour de l’idée d’enregistrer, d’archiver en temps réel et de diffuser des figures sonores.
En ce qui concerne l’écriture instrumentale, le compositeur joue beaucoup sur des variations de dynamique, qui vont venir nourrir les parties électronique et visuelle. Un travail sur les modes de jeu instrumentaux est également effectué, en ce qu’ils créent différentes interactions avec l’électronique et la vidéo. En revanche, la complexité ne se trouve pas dans la superposition des éléments, car la question est avant tout de maintenir le flux de la performance et travailler dans la continuité, dans une démarche d’émergence.
La notation de la partie électronique est assez libre, c’est-à-dire que le contrôle des variables s’effectue en temps réel, lors du concert. L’interprète de la partie électronique a donc un rôle fondamental dans le rendu sonore de la pièce, qui sera différent à chaque nouvelle reprise, car de nouvelles interactions y seront provoquées. Ici, chaque performance est une instanciation singulière de l’œuvre constituée par cet « espace d’interaction ». Cette pièce a ainsi été jouée quatre fois, dont les deux premières par le compositeur lui-même. Il est donc possible de rejouer cette pièce sans l’obligation de présence de Felipe Merker Castellani.
Note de programme :
Espaces d’interaction est créée à partir de l’extension du traitement granulaire à plusieurs niveaux: au niveau des morphologies sonores, générées par écriture ou par traitement électronique, ainsi qu’au niveau des opérations effectuées en temps réel. Le déroulement du temps est marqué par une succession de boucles de processus de transformation de diverses textures complexes.