Every Day the Same Dream est une oeuvre de Paolo Pedercini, un artiste connu notamment pour sa participation au projet Molleindustria. Comme la plupart de ses oeuvres, Every Day the Same Dream s’approprie les codes du jeu vidéo afin de développer une critique sociale. Dans cette oeuvre, l’internaute est invité à incarner un avatar. Il s’agit d’un homme qui se lève le matin pour aller travailler. Il s’habille et se dirige vers la cuisine, où il tente d’embrasser sa femme, qui lui refuse ce plaisir sous prétexte qu’il est en retard. Ensuite, l’homme prend l’ascenseur, où il a un bref échange avec une voisine. Puis il se trouve pris dans le trafic du matin. Comme de fait, il arrive en retard au travail, où son patron lui adresse des reproches. Finalement, il se rend à son cubicule. Ensuite, le jeu recommence: l’homme est tiré de son sommeil pour vivre une journée identique à la précédente.
Cette oeuvre constitue une tentative d'épuisement d'une journée, ad nauseam. Dans les faits, le jeu confère très peu de liberté au joueur. Aucun choix ne semble s’offrir à lui. Lorsque l’avatar se trouve dans sa chambre, l’internaute doit absolument appuyer sur la barre d’espacement afin que celui-ci s’habille. De la même façon, il doit appuyer sur le bouton de l’ascenseur, et ainsi de suite. Au fil de l’expérience de l’oeuvre, c’est une forte impression de contrainte qui se dégage de l’existence de ce personnage. L’avatar est ainsi prisonnier d'un quotidien inépuisable, il ne peut échapper à sa condition de travailleur. Même sa femme l’encourage à se rendre au travail, inlassablement.
L’esthétique de l’oeuvre contribue largement à cette impression. D’abord, la musique composée par Jesse Stiles, des plus répétitives, vient renforcer l’impression d’encloisonnement de l’avatar. L’ensemble des éléments du décor est en noir et blanc, ce qui traduit de façon explicite la grisaille de l’existence de l’individu. Seuls quelques éléments sont en couleur: le réveil-matin, la télévision, le bouton de l’ascenseur, l’affiche du stationnement, les lumières des voitures, l’unique feuille d’un arbre mort, le graphique de statistiques qui se trouve à son travail et, finalement, une affiche verte qui se trouve au bout du couloir où l’avatar travaille. De la grisaille, il n’émerge que des objets qui symbolisent, chacun à leur façon, un aspect de la vie quotidienne du travailleur salarié contemporain. Le dernier élément, l’affiche verte qui indique la sortie, introduit la seule liberté qui est conférée au joueur dans l’ensemble du jeu. En effet, plutôt que de s’installer à son cubicule pour commencer à travailler, celui-ci peut se rendre sur le toit de l’immeuble, où il a la possibilité de se lancer dans le vide. Toutefois, et cela ajoute au tragique de l’oeuvre, même ce suicide ne met pas fin à l’expérience de l’oeuvre. Après le suicide, le personnage se réveille à nouveau, et la journée recommence. En explorant l'oeuvre plus en profondeur, il est aussi possible d'accomplir certains actes qui auront une incidence sur le déroulement des événements 1.
À ce propos, cette faille dans la logique événementielle du récit — comment un suicidé peut-il se réveiller dans sa chambre!? — peut s’expliquer par l’anonymat des différents personnages rencontrés dans l’oeuvre. En effet, l’avatar ne possède aucun trait distinctif susceptible de l’individualiser. Il est identique à l’ensemble des automobilistes, de même qu’à l’ensemble de ses collègues. Ces gens n’ont pas de visage; ils sont, plus abstraitement, des travailleurs. Ainsi, ce que l’oeuvre suggère, c’est que le suicide d’un individu n’affecte en rien la logique économique dans laquelle ils se trouvent tous. Le lendemain de la mort tragique d’un travailleur, la vie poursuivra son cours, et un autre sera là pour le remplacer, dans son cubicule identique à tous les cubicules de son lieu de travail. Se poursuit, on le devine, la ronde inépuisable des employés épuisés.
On l’aura compris, en jouant de la répétition, Every Day the Same Dream détourne les codes du jeu vidéo afin d’offrir une critique acerbe de l’aliénation du travailleur contemporain. Le procédé apparaît des plus efficaces, d’autant plus que ce type de plateforme de jeu est très populaire sur Internet, et constitue une invitation à la procrastination, dans les lieux de travail, par exemple. L’idée d’un travailleur, dans son cubicule, découvrant Every Day the Same Dream a sans doute de quoi faire sourire, mais il s’en dégage aussi un certain malaise. Non?
- 1. Un indice: écouter ce que la dame de l'ascenseur raconte au personnage.
«A new game from Paolo Pedercini, “Every Day the Same Dream” is a beautiful game with a very bleak outlook (perhaps partially belied by its restrained color scheme). Parts of it seem like a grim view on the 50’s, while other parts remind me of a bleaker version of my last gig. “Every day the same dream” is a slightly existential riff on the theme of alienation and refusal of labor. The idea was to charge the cyclic nature of most video games with some kind of meaning (i.e. the “play again” is not a game over). Yes, there is an end state, you can “beat” the game. Made in about 6 days: 3 code + 3 content + 1 making crappy drones with an electric guitar (alternate soundtrack that didn’t make into the final game).»