Les rapprochements est une oeuvre qui propose une réflexion sur la notion de présence, sur les relations humaines, et sur la tension entre la proximité et la distance qui les caractérisent.
Au début de l’oeuvre, l’internaute aperçoit un corps qui se meut sous un drap blanc, puis peu à peu, le tracé du contour d’une silouhette humaine apparaît. Celle-ci constitue l’interface de nagivation de l’oeuvre: les différentes parties du corps (la tête, le torse, les mains et les jambes) sont hyperliées. En cliquant sur l’une d’elles, l’internaute aura accès à une séquence filmée qui témoigne, aux dires de l’artiste, d’une volonté de rapprochement avec le spectateur.
Dans la séquence reliée à la tête de la silhouette, des points bleus apparaissent à l’écran. Lorsque l’internaute clique sur eux, un soupir, un rire, une toux, un murmure ou un autre son corporel se fait entendre. La tête est représentée comme étant le lieu des sensations, des désirs. Bref, si le visage n’est pas représenté de façon explicite, c’est peut-être pour mettre en valeur le fait que la tête est le siège de la sensibilité et de la perception du monde; elle est davantage intériorité qu’extériorité. Le mouvement des sphères bleutées, quant à lui, évoque l’évanescence des sensations, leur caractère diffus.
En cliquant sur le ventre du corps à l’écran, l’internaute y verra apparaître une graine qui germe rapidement à l’intérieur de celui-ci, devenant une plante qui, peu à peu, repousse les frontières du corps physique. Les racines s’étendent et la tige se dresse, laissant croire de façon métaphorique que le corps, en tant que siège de notre expérience du monde, ne connaît pas de véritable frontière. Les racines suggèrent les liens qui unissent l’humain au monde : pour que le corps existe, il doit être stimulé par un milieu, sans quoi, vide d’expérience, il n’existerait littéralement pas.
En cliquant sur la main gauche, l’internaute verra apparaître à l’écran une main qui est prisonnière derrière une vitre opaque. Elle tapote ses doigts sur la surface, comme si elle s’impatientait. L’internaute, à l’aide du curseur de sa souris, a la possibilité de manipuler la main, de la déplacer sur la surface de verre. Toutefois, la main demeure derrière la surface, suggérant ainsi une distance irrévocable entre l’internaute et le corps derrière l’écran.
Un peu comme la main gauche, la main droite est prisonnière derrière une vitre opaque. Toutefois, celle-ci est beaucoup moins passive que la première. Elle cogne d’abord sur la surface vitrée, puis, quand l’internaute clique sur la fenêtre, elle donne un grand coup qui fracasse violemment la vitre. Encore une fois, c’est la volonté de briser la frontière dressée entre les sujets qui est exprimée par cette séquence.
La séquence liée aux jambes de la silhouette donne à voir à l’internaute les jambes nues de quelqu’un en train de sauter sur place. La séquence vidéo est au ralenti et l’ambiance sonore, sourde, évoque un sas ou une forme de cloisonnement. Lorsque l’internaute clique sur la fenêtre, la personne en question tombe de façon brutale sur le sol. Il y a là comme un brusque retour à la réalité, après un moment de flottement tout à fait onirique.
Au final, Les rapprochements apparaît être un exemple marquant du paradoxe de la représentation du corps humain humain dans le cyberespace. Malgré un effort de représentation visant à créer un effet de présence, le corps demeure toujours derrière la surface de l’écran, qui apparaît dès lors comme étant une frontière infranchissable entre l’internaute et le sujet représenté. On peut y voir un commentaire sur la nature des relations humaines dans le cyberespace: même si, de façon marquée, le Web évolue toujours davantage vers une complexification des réseaux sociaux, pouvant laisser croire à un rapprochement des individus, il semble y avoir une limite infranchissable à ce type de relation. Malgré les rapprochements rendus possibles par le cyberespace, c’est toujours dans la solitude que l’individu parcourt la surface de son écran d’ordinateur.
Cette oeuvre est une tentative d'épuisement de la représentation du corps et ses effets de présence.
«De par et d'autre de la vitre de notre écran, deux mondes, l'un réel, l'autre "virtuel". L'œuvre de Rachel Echenberg est bâtie sur cette coupure, et joue des pouvoirs d'attraction de cet "autre monde", de notre désir de transgression et de notre rêve d'un passage d'un monde dans l'autre - en même temps qu'elle en rappelle et en souligne l'impossibilité. Pour ce faire elle mettra en scène, justement, un intermonde en apparence très réel et très tactile, où l'internaute aura vraiment l'illusion d'entrer en relation avec ce corps, cette présence, ici et maintenant, là, juste derrière la vitre de son écran. En même temps cet intermonde demeure pourtant un lieu impossible, puisqu'il se place dans un "non-espace" et aussi hors du temps (dans l'éternel retour des mêmes actions qui se répètent), un monde fantomatique et cauchemardesque où le corps de l'artiste se débat, un corps morcelé, enfermé, parasité, déformé, qui se presse et se cogne contre la vitre de l'écran en faisant signe à l'internaute sans pouvoir le rejoindre jamais, un monde où la "connexion" appelle, en effet, la "dislocation".» Boisvert, Anne-Marie (09/2006) «Les rapprochements / Approachings, de Rachel Echenberg». En ligne: http://www.ciac.ca/magazine/archives/no_26/oeuvre5.htm (consulté le 27 mai 2010)