My Mexican Bretzel est un docu-fiction. Il s’agit du premier long métrage de la réalisatrice Nuria Giménez Lorang. Visuellement, l’œuvre est composée exclusivement d’images d’archives familiales tournées entre 1940 et 1970. Le film est un montage qu’accompagnent les extraits textuels du journal intime de Vivian Barrett, une Suissesse aisée décédée d’un cancer du sein au courant du XXe sicèle. Les réflexions de Vivian sont ponctuées de citations attribuées à l’écrivain Paravadin Kanvar Kharjappali, qui est pour elle une figure spirituelle tutélaire. Le film s’appuie donc sur une diversité d’images muettes de Vivian, peu accompagnées au niveau sonore, et intercalées de certaines vidéos d’archive d’événements publics.
Vivian est mariée à Léon Barrett, un pilote militaire réformé suite à une blessure à la tête et ayant par la suite fait fortune grâce à la commercialisation d’un antidépresseur désormais retiré du marché, le «Lovedyn». Tous deux voyagent beaucoup, accompagnés de leur caméra, que Léon dépose rarement.
La vie de Vivian est monotone, et une rencontre à Majorque avec Leo, un homme italien, va modifier sa trajectoire. Suite à une brève relation adultère, Vivian va choisir de rester avec son mari plutôt que partir avec son amant. Elle regrettera cette décision toute sa vie, rêvassant à ce qu’aurait pu être une existence alternative et fantasmée. Désillusionnée par l’absence de désir de Léon et atterrée par un cancer qui la terrasse, Vivian meurt jeune quoique paisiblement.
À la fin du film, on apprend que le médicament commercialisé par Léon était en fait un placebo, et que le livre de Paravadin Kanvar Kharjappali était presque exclusivement composé de phrases plagiées. Ces informations placent la vie de Vivian sous le signe du mensonge et du faux-semblant, et jettent aussi un doute sur la véracité des images vues et des phrases que nous avons lues tout au long du film. On interprète alors différemment la citation inaugurale du film: «Les mensonges ne sont qu'une autre façon de dire la vérité». Si les images d’archives sont réelles, Vivian, en revanche, ne l’est pas – pas plus que son journal, que Léon ou le Lovedyn. Ce sont en fait les grand-parents de Nuria Giménez Lorang, dont elle a réemployé les archives afin de produire une fiction, qui figurent à l’écran.
Les images montrées sont de nature relativement banale: elles montrent le couple en vacances, sur un yacht, à la plage, aux champs de courses, au chalet – des activités ordinaires, mais qui dénotent bien le milieu social auquel Vivian et Léon appartiennent.
Bien que fictif dans le cas présent, le journal intime est une forme d’écriture très étroitement liée au présent et à sa consignation. Mais au journal écrit de Vivian se superpose aussi le journal filmique de Léon, puisque ce dernier, paraît-il, documente absolument tout. Dans la superposition de ces deux formes d’enregistrement comme dans la compulsion à tout noter se dessine un épuisement – des événements à noter autant que des modes de notation.
La période sur laquelle s’étendent les archives, très extensive (un total de 30 années), documente aussi un autre présent que celui de Vivian et Léon: c’est celui de l’histoire de la démocratisation de la photographie, qui devient plus répandue en tant qu’usage social, mais dont les qualités visuelles et techniques s’améliorent aussi avec le temps.
Enfin, en reprenant pour les articuler fictionnellement les archives familiales de ses grands-parents, Nuria Giménez Lorang initie elle aussi une forme de tentative d’épuisement, celle des virtualités narratives possibles de cette masse archivistique.