Prémisses pour Corps infini est une œuvre acousmatique composée par Anne Sèdes. Elle est la trace des mondes musicaux composés dans la perspective du projet «Corps infini» mené au LABEX par la chorégraphe Kitsou Dubois.
Cette pièce trouve sa place entre deux projets de recherche-création financés par le Labex Arts-H2H: HOA, bibliothèque de spatialisation ambisonique du son, par les musiciens, pour les musiciens (2013/2015), portée par le CICM et l’ENS Louis Lumière, financée par le LABEX , et «Corps infini», qui a débuté en 2015 et qui prendra fin en novembre 2018 en collaboration avec Kitsou Dubois, l’académie Fratellini, l’ENS Louis Lumière, le CICM et l’INREV de l’université de Paris 8.
En 2015, le volet de valorisation artistique d’HOA a permis de monter un premier plateau expérimental avec la chorégraphe Kitsou Dubois en 2015. Cette expérimentation allait être aux origines du projet «Corps Infini» développé ensuite. C’est dans ce contexte qu’a été composée Prémisses pour Corps Infini.
La performance avait eu lieu en tant qu’œuvre en progrès au Festival Sidération du CNES/Les artistes face à l’Espace, le 18 mars 2016, et au Festival les Impromptus/processus Cirque, Académie Fratellini, les 7 et 8 juin 2016. La version acousmatique de cette performance a été diffusée sous forme d’installation pour un dôme de 24 haut-parleurs à l’Académie Sibelius d’Helsinki en novembre 2016, en version Concert à l’église St-Merri dans le cadre des journées d’informatique musicale en mai 2017, en septembre 2017 à la MSH et en octobre 2017 dans le cadre des vitrines du LABEX à l’ENS Louis Lumière. Elle sera encore diffusée le 15 septembre 2018 à l’auditorium de la MSH dans le cadre des journées du patrimoine, en direction d’un large public, celui du territoire de la Plaine-St-Denis.
Lors de la performance en juin 2016 dans le cadre du Festival Impromptus, deux circassiens équipés de capteurs de flexion évoluent sur scène et transforment deux sources sonores monophoniques, composées pour chacun, à partir de fragments sonores - l’un tendant vers le grave et l’autre aigu, réalisés avec un synthétiseur PROPHET 5. À partir de ces sons et de leurs transformations, on a produit des couches de bruit afin d’intégrer les nuisances sonores extérieures à la pièce et de créer de la confusion entre sons de l’intérieur et sons de l’extérieur. En effet, dans le petit chapiteau de l’Académie Frattelini, la pollution urbaine (trains, voitures, avions) étant constante, il a donc fallu l’intégrer. Les bruits du quotidien s'additionnent donc à cet archivage dont ils deviennent indissociables.
Anne Sèdes est partie d'un objet logiciel déjà existant, le patch de démonstration d’un traitement sonore de décorrélation micro-temporelle, issu des exemples de traitement du son dans l’espace de la librairie HOA. Ce fragment de programme permet de manier différents paramètres variables: le délai de décorrélation, le facteur de décorrélation, la vitesse de circulation du son, et l’élévation du son (lorsqu’il s’agit d’une proposition de spatialisation en 3D). L’effet de décorrélation crée des décalages micro-temporels dans l’espace et permet notamment des jeux sur la dimension de présent. Il s’agit d’opérations temporelles et multicanales, créant des «textures» de spatialisation qui produisent ce qu’on appelle un champs diffus, du son venant de partout, que l’on peut réduire à un son ponctuel mis en trajectoire, grâce à l’échelle sensible du facteur de diffusion. Un traitement par granulation est également ajouté à la décorrélation, afin de pouvoir jouer sur la variable de «raréfaction» qui peut réduire le son à un silence presque total. Des techniques de convolution ont également été employées pour «croiser» les deux sonorités propres à chaque danseur avec des sons de cymbale.
Les valeurs des variables issues de ces différents traitements ont été mises en correspondance avec les valeurs d’échelle données par les capteurs de flexion des circassiens. Ainsi, les mouvements fins des danseurs, à l’écoute de l’environnement sonore, déterminent la morphologie des sons en train de se produire. Les danseurs contrôlent, entre autres, le facteur de diffusion et la vitesse de rotation en azimut et en zénith. Ainsi, ils explorent des mondes sonores où circulent des sources ponctuelles, aux trajectoires et aux vitesses variables, qui se transforment en masses de son diffus, peu localisable, au fil de leur performance. Les danseurs circassiens composent ainsi en temps réel avec le son, tels des «sliders humains», et peuvent contrôler finement, à l’écoute, le rendu sonore de leurs gestes, tout comme se laisser emporter par leurs acrobaties et ne plus penser aux conséquences de leurs mouvements sur les sons.
A partir d’une performance enregistrée en multicanal 16 voix 3D, Anne Sèdes a réalisé une version acousmatique, effectuée sans montage, si ce n’est qu’elle a réduit l’enregistrement de 20 minutes en une pièce de 7 minutes (elle a donc précédé par «macro-montage»). Le mixage de cet enregistrement est versionable selon différentes situations d’écoute: séances d’écoute immersives en 3D dans un dôme, situations de concert en octophonie, installations, grâce au réencodage ambisonique adaptable à toutes situations de diffusion. Cette pièce est en quelque sorte une «épreuve» fixée en version acousmatique de la performance du même nom. Cette épreuve peut être instanciée à chaque fois que la pièce est rediffusée, en fonction des opportunités: concerts acousmatiques, écoute en dôme 3D, écoute binaurale au casque. La réitération, en différent contextes, est donc au fondement même de sa création.
Anne Sèdes développe ses projets artistiques dans un cadre expérimental de recherche musicale entre théorie et pratique, à l’université, et valorise assez peu son catalogue personnel. Ici, l’archivage du présent concerne la période 2014-2018, où l’ensemble de ses pièces a exploité des traitements limités à la décorrélation, à la granulation et à la convolution en ambisonie d’ordre élevé avec la bibliothèque HOA du CICM. Chaque nouvelle pièce est une archive artistique de ce moment de recherche et de tentative de partage et d’enrichissement collectif, plutôt que d’épuisement.
La prochaine tentative d’épuisement de ce projet aura lieu dans la dernière étape du projet «Corps infini» avec Kitsu Dubois , en novembre 2018 à l’Académie Frattelini: nouveaux capteurs, nouveaux danseurs circassiens, nouvelles échelles, et une approche épurée des moyens d’expression de la décorrélation micro-temporelle dans HOA.