Shifting Mirrors est une pièce pour saxophone et électronique sur bande créée le 7 octobre 2016, composée par Horacio Vaggione, d’après des méthodologies collaboratives inspirées du travail de thèse du saxophoniste Pedro Bittencourt.
L’écriture de cette pièce est le résultat d’un travail commun entre l’interprète et le compositeur: Horacio Vaggione a composé des fragments électroniques multipistes, envoyés à Pedro Bittencourt afin qu’il les écoute et propose une interprétation instrumentale en cohérence avec ces contenus. En quelque sorte, la partie électronique de la pièce constitue la partition inspirant la partie instrumentale. C’est ainsi que Bittencourt a pu proposer une version personnelle pour la création et la reprise de la pièce.
Au-delà de la création, pour faciliter la prise en main de la pièce par d’autres interprètes dans le monde, le compositeur a, par la suite, écrit une partition à partir du découpage des différentes propositions du saxophoniste.
Le processus de création de Shifting Mirrors s’est déroulé de la façon suivante: Horacio Vaggione part d’un environnement de travail constitué de code, pour construire des objets composés. Une fois articulés et mixés, ils sont envoyés au saxophoniste qui va les lire et les interpréter. Il s’agit de «voyager avec dans toutes les directions» (Horacio Vaggione), les traduire en son acoustique, puis faire un retour au compositeur, lui permettant de réaliser des choix parmi ces différentes propositions et définir un parcours, une forme.
Cette expérience est le fruit d’une démarche neuve et expérimentale: l’idée était de ne pas donner la partition écrite et finie à l’interprète, mais de partir de ces fragments, objets composés, donnant lieu à une réelle écriture participative. L’idée de partition en tant que simple «archive musicale» est donc implicitement écartée par ce type de démarche, qui favorise un processus de création plus organique.
Enfin, compositeur et interprète ont développé ensemble les interactions, les parcours, ils ont co-construit la forme. Un des résultats de cette expérience est une partition écrite d’après deux enregistrements de Pedro Bittencourt. Toutefois, le fait qu’il y ait une partition ne signifie pas que la pièce soit figée. Celle-ci laisse suffisamment de liberté à l’interprète pour que chacun crée sa propre version de la pièce.
Quant à l’écriture acoustique, instrumentale, selon Horacio Vaggione, elle «manque de finesse», étant donné le caractère traditionnellement fixé de l’exécution, et comparé au potentiel du son électronique audionumérique sur le plan micro-temporel.
Horacio Vaggione tente de répondre à la question suivante: «Quels sont les moyens de [tirer partie de la] flexibilité de la partition, sans basculer dans l’improvisation?» Il propose ainsi une démarche compositionnelle nouvelle . D’un certain côté, la primeur est accordée à l’interprète-créateur. La partition «papier», écrite dans un deuxième temps, permet d’intégrer la pièce de façon plus standard dans le répertoire du saxophone contemporain et mixte. Évidemment, personne n’aura la même expérience que Pedro Bittencourt lors de la réalisation-création de cette pièce.
Le compositeur soulève ici un problème constant dans les musiques mixtes: le paradigme du format de notation instrumentale traditionnel ne correspond pas au paradigme avec lequel on compose la partie logicielle. Deux échelles temporelles se confrontent: celle de la note instrumentale, solfégiée, et celle, «micro-chirurgicale» et précise, de l’évènement électronique. Horacio Vaggione a ici tenté de créer des pièces dont les objets peuvent s’imbriquer, afin que la partition soit flexible, adaptable, réutilisable.
Ainsi, l’objet épuisé dans ce contexte serait la bande, ou plutôt les fragments de bande, utilisés comme objets opératoires pour la composition de la pièce.
Cette démarche compositionnelle est issue (du concept) de programmation orientée objet, qui a vu le jour dans le but de contrer l’obsolescence technologique des anciens formats de code hyper saturés, de la programmation linéaire: il faut désormais construire des objets réutilisables.
C’est pourquoi on peut se questionner sur le terme d’«épuisement» dans cette situation artistique. Dans le domaine des musiques mixtes, et en musique en général, l’objet du quotidien du compositeur, que ce soit du code, une bande, une partition, etc., est sans cesse renouvelé, il «crée de l’émergence tout le temps» (Horacio Vaggione). Ces objets sont composés, réutilisés et créent des émergences, des réalités à leur tour. On pourrait dans ce cas parler plutôt d’une tentative de réappropriation ou de réutilisation.
Les échanges avec l’instrumentiste ont donné lieu à des enregistrements, ayant eux-même donné lieu à une partition, afin de faire circuler l’œuvre. On pourrait parler ici d’un épuisement créatif. Toutefois, en réalisant cette partition, il est question de faire un choix dans ces objets composés: on ne les épuise pas, mais on les trie, on les adapte, on les fait évoluer.
«Tout de suite, donc, ce cadre pose comme conséquence la nécessité de penser l'ensemble du travail de composition en termes de réseaux flexibles et ouverts où des actions de nature diverse, exercées sur des niveaux temporels parfois non congruents, créent des processus asymétriques et modifiables à tout instant. Le cadre général capable d'intégrer cette diversité devient ainsi un lieu où se tissent des interactions entre des objets à la fois multiples et singuliers.» Vaggione in Objets, représentations, opérations
Note sur l’enregistrement du concert:
Dans ces enregistrements, l’un des saxophones est un peu à droite et l’autre un peu à gauche, ce qui crée une sorte de décorrélation instrumentale, écrite. Le rendu sonore pourrait être comparé à une pièce pour «deux saxophones de la même famille» (Horacio Vaggione).