Du 27 février au 5 mars 2018, Fabrice Masson-Goulet présentait, à la Galerie POPOP, Anamnèse., projet dont l’artiste laissait déjà apercevoir, depuis quelques semaines, des fragments sur diverses plateformes numériques — Facebook et Instagram pour ne nommer que celles-là. Ces aperçus? Des images des affiches (tirées des séries L'Autoconservation et Fake Poetry, 2017) qui seraient disposées sur les quatre murs de la galerie, entourant le performeur, et présentant des phrases-chocs — rappelant vaguement, et ironiquement, une sorte d’Instagram poetry conceptuelle — fonctionnant à la manière de prolégomènes au projet en cours.
L’idée de la performance était simple: pendant la semaine où Masson-Goulet aurait contrôle des lieux, il tacherait de retranscrire à rebours — du présent vers le passé — l’entièreté de son profil Facebook ainsi que de ses diverses interventions sur le réseau social, avant de supprimer ce qu’il viendrait d’immortaliser sur support physique. Les visiteur·euses seraient par ailleurs appelé·es à commenter sur son profil, accentuant ainsi la tâche déjà colossale — sisyphéenne — à accomplir.
Le travail de Fabrice Masson-Goulet — à travers Anamnèse., mais aussi dans ses autres projets — embrasse la recherche d’exhaustivité ainsi que l’archivage identitaire (individuel comme collectif), les traces que l’on sème, majoritairement par l’entremise du web. On n'a qu’à penser aux oeuvres annuelles de l’artiste qui recensent en ordre alphabétique la totalité des livres publiés au Québec (Monographie, 2017; Monographie II, 2018 — le premier texte était d’ailleurs lu en continu par une intelligence artificielle et projeté dans la salle d’exposition), ou à celle qui se réapproprie une oeuvre déjà plagiée (Tranches de vie, 2017), Masson-Goulet apparait en ce sens comme un artiste conceptuel dont le travail creuse sans conteste l’identité numérique, la construction identitaire, tout comme l’archivage et la représentation de soi.
En ce qui concerne Anamnèse. plus particulièrement, le travail de l’artiste consiste en une tentative d’épuisement sur plusieurs plans. Masson-Goulet tente d’abord et avant tout par cette performance d’épuiser l’objet qu’est son identité virtuelle jusqu’à la faire entièrement disparaitre — de la faire passer d'un support numérique à un support physique par l’archivage exhaustif — puis la destruction — de sa présence sur les réseaux sociaux. Si «Facebook nous offre un reflet idéalisé de notre propre existence» (Germain, 2016), Masson-Goulet questionne ce qui reste de soi après la suppression de cette identité construite sur le web, cette «forme changeante et jamais tout à fait saisissable de son/nos identité.s» (Galerie POPOP, 2018).
Mais Anamnèse. est aussi par ailleurs une tentative d’épuisement du corps, de celui de l'artiste d'abord, placé face à l’impossibilité pratique de terminer le projet enclenché dans le temps imparti, comme de ceux des spectateur·ices, confronté·es à l’aliénation induite par la voix robotique qui scandait des titres de publication en ordre alphabétique. Si pour l'artiste le projet était une épreuve d'endurance, il a réussi à faire en sorte que les spectateur·ices vivent avec lui cette même épreuve de l'épuisement du corps, «happé[·e]s par ce «présent infini» dont le règne a été rendu possible — inévitable — par le web» (Germain, 2016).