House of Leaves of Grass est une œuvre hypermédiatique disponible sur le Web, basée sur un générateur de strophes de poème. Ces strophes se composent en fonction des coordonnées du pixel désigné par le curseur de l’internaute à l’écran et se forment à l’intersection de deux textes sources: le texte complet de l’édition de 1891-1892 de Leaves of Grass, poème de Walt Whitman, et House of Leaves, roman de Mark Z. Danielewski publié en 2000. Chaque pixel sur le carrelage de la page est une coordonnée d'intersection entre les deux œuvres; nous avons donc sur l'axe X des extraits de House of Leaves (Danielewski, 2000) et sur l'axe Y des extraits de Leaves of Grass (Whitman, 1855). L'œuvre investit les pixels de l'écran pour créer des intersections poétiques entre les deux récits, qui traitent tous deux du rapport étrange entre l'homme et l'espace. House of Leaves of Grass nécessite une plateforme qui supporte la fonctionnalité «canvas», car il dépend du quadrillé des pixels pour permettre la navigation.
Pour un total de vingt-quatre mille potentielles strophes, House of Leaves of Grass est une tentative d'épuisement de deux œuvres portant sur le territoire à la fois minuscule et infini. Plus qu'un archivage des deux textes, le travail du bien nommé Sample (en anglais, échantillon) les réagence pour produire un résultat mouvant, inédit, aux combinatoires en apparence innombrables.
Or, le nombre de strophes possibles, s’il semble de prime abord infini, ne l’est pas : les coordonnées se situent sur une échelle allant de 0:0 à 10000000:10000000, permettant comme l’indique la section explicative du site Web, de créer environ 100 billions de strophes, correspondant approximativement au nombre de cellules du corps humain. La typographie utilisée dans l’œuvre se fonde sur une police vectorielle dont la particularité est d’être basée sur une suite d’instructions graphiques qui juxtaposent des traits et des arcs recomposant ainsi les contours des caractères. Son avantage est de permettre un affichage net quelle que soit la taille de police, détail important puisque l’œuvre de Sample exige de jouer avec le zoom de l’écran, en tapant sur les touches A et Z du clavier ou en utilisant la roulette d’une souris, pour découvrir plus ou moins de strophes, celles-ci semblant s’étendre infiniment hors champ. La typographie est donc particulièrement soignée (à l’image du travail opéré par Danielewski dans son roman1). Les extraits des textes de Danielewski et Whitman ont été choisis grâce à plusieurs outils informatiques, en fonction de leur longueur, de leur fréquence d'apparition ou des thèmes abordés, puis recomposés selon un algorithme basé sur sept modèles syntaxiques. Les quatrains ainsi produits sont syntaxiquement lisibles quand bien même leur signification paraît le plus souvent obscure.
House of Leaves of Grass peut être naviguée d'une pluralité de manières: par le déplacement de la souris, par une recherche directe utilisant la barre espace du clavier qui nous permet de rentrer des coordonnés avec les touches numériques du clavier, par le clic droit et le clic gauche de la souris, par les touches flèches du clavier ainsi que par la roue de navigation de la souris. Si elle cherche sans conteste à épuiser les récits de Danielewski et de Whitman, l'oeuvre de Mark Sample est elle-même fondée sur un principe d'exhaustion qui vise à épuiser la rencontre elle-même entre les deux oeuvres autant que le principe qui la régit. Ainsi, Sample propose une œuvre profondément intertextuelle. À travers l’exploration des connexions entre deux textes, elle produit un remix qui permet de former une œuvre tierce dont la forme s’inspire d’une autre œuvre hypermédiatique de Nick Montfort et Stephanie Strickland, Sea and Spar Between (2011), dont il reprend le script.
House of Leaves of Grass, à l’image de la maison au cœur de l’œuvre de Danielewski, possède des dimensions intérieures supérieures à ses dimensions extérieures et, de la même manière que Leaves of Grass, interroge l’expansion de l’Amérique, questionne les modalités de sa propre expansion. C’est une œuvre qui tente à la fois d’épuiser ses textes sources et l’espace de l’écran dont chaque pixel révèle une strophe. De par la quantité singulière de poèmes produits, elle se fait œuvre totale: toute lecture exhaustive en est impossible, puisqu'en compléter la lecture exige de s'y consacrer pour une période plus longue que le temps d’une vie.
Nous serions alors tentés de qualifier la démarche de Sample d’oulipienne, tant elle n’est pas étrangère à celle qu'entreprenait Queneau avec ses Cent mille milliards de poèmes. Ces deux œuvres partagent une même ambition surdimensionnée, laquelle contraste avec la simplicité du dispositif choisi: Queneau utilise un banal livre qu’il se contente de découper en languettes; Sample propose un générateur de texte à la programmation des plus simples, basée sur les coordonnées des pixels à l’écran (son conteneur Web pèse à peine 24k).
Son titre en forme de concaténation annonce une œuvre qui se construit comme un feuilleté, au-delà même du mot qui rassemble les deux œuvres initiales. Les textes qui y sont réunis font corps, corps électrique à chanter pour paraphraser Walt Whitman, corps constitué de 100 billions d’éléments, pixels ou cellules: «(I am large, I contain multitudes.)» (Whitman «Song of Myself»).
- 1. À noter que comme dans House of Leaves, les occurrences du mot « house » sont soulignées en bleu dans House of Leaves of Grass.
Mark Z. Danielewski’s House of Leaves is a massive novel about, among other things, a house that is bigger on the inside than the outside. Walt Whitman’s Leaves of Grass is a collection of poems about, among other things, the expansiveness of America itself.
What happens when these two works are remixed with each other? It’s not such an odd question. Though separated by nearly a century, they share many of the same concerns. Multitudes. Contradictions. Obsession. Physical impossibilities. Even an awareness of their own lives as textual objects.
To explore these connections between House of Leaves and Leaves of Grass I have created House of Leaves of Grass, a poem (like Leaves of Grass) that is for all practical purposes boundless (like the house on Ash Tree Lane in House of Leaves). Or rather, it is bounded on an order of magnitude that makes it untraversable in its entirety. The number of stanzas (from stanza, the Italian word for “room”) approximates the number of cells in the human body, around 100 trillion. And yet the container for this text is a mere 24K.
There are three distinct source texts for House of Leaves of Grass. As its title suggests, House of Leaves of Grass remixes Danielewski’s House of Leaves (2000) with Whitman’s Leaves of Grass (the “deathbed edition” of 1891-1892). Key words and phrases were selected from these two works according to either frequency of appearance or thematic significance and then algorithmically remixed into couplets based on seven templates. The third source text for House of Leaves of Grass is its electronic literature forebear, Nick Montfort and Stephanie Strickland’s Sea and Spar Between (2011). Sea and Spar Between provided inspiration (and the underlying platform) for House of Leaves of Grass, though the two works are dramatically different in terms of content and tone.