Le «live streaming» comme dispositif de captation de la banalité du quotidien

Date de publication: 
22 décembre 2016

La démocratisation de la télévision, durant les années 1960, a rendu possible la connaissance d'un événement au moment même où celui-ci se déroulait. Nous n'avons qu'à penser au couronnement d'Élizabeth II (le premier événement diffusé massivement en direct) ou à un exemple plus connu : l'assassinat de Lee Harvey Oswald par Jack Ruby devant les caméras. Cette instantanéité de l'information s'est accentuée au fil du 20e siècle pour atteindre son paroxysme avec l'effondrement des deux tours du Wall Trade Center, qu'il serait possible de qualifier comme l'événement par excellence de cette culture de l'écran. Inversement, il nous apparait clairement aujourd'hui que même le non-événement est observable en direct depuis nos ordinateurs. La miniaturisation et la multiplication des caméras vidéo et des appareils photo, combinées à l'émergence du web, ont, depuis les années 1990, permis cette transformation de notre rapport à la réalité. Contrairement à la télévision, le «livestreaming» ne coûte pratiquement rien: il suffit d'une webcam et d'une connexion Internet pour diffuser en continu, d'où cette augmentation de vues possibles sur notre environnement. Tout se passe comme si cette prolifération de caméras et de webcams nous permettait maintenant d'observer le monde dans sa plus pure banalité, dans son quotidien et, par le fait même, d'en épuiser le sens et de remettre en question la manière dont nous appréhendons le sensible. Nous amorcerons, dans ce texte, une réflexion générale sur la diffusion en direct que permet Internet en analysant trois occurrences de ce phénomène d'épuisement.

Les caméras de surveillance routière, qui sont parfois disponibles en «streaming» sur internet, permettent à l'utilisateur d'observer différents lieux de la planète. Que ce soit une intersection achalandée de Tokyo ou une rue déserte d'une petite ville de Finlande, le monde semble observable dans son ensemble. Plus généralement, la possibilité de regarder notre environnement sur internet peut se faire autant dans le microscopique que le macroscopique. Sur le poste «Earth from Space» de YouTube, il est possible d'observer la Terre depuis la station spatiale internationale grâce à une webcam. La diffusion se fait en temps réel, en continu et sans aucune interruption. De manière similaire, le site Life Forms Under the Microscope propose à l'internaute d'observer en direct différentes formes de vie dans une goutte d'eau grâce à un microscope branché en permanence sur le web. Ces trois exemples de «live streaming» témoignent de la possibilité que nous avons d'observer notre environnement sous toutes ses facettes, autant dans sa forme la plus large, le monde dans son ensemble, que dans sa forme la plus restreinte et microscopique.

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Capture d'écran du poste «Earth from Space» sur YouTube

La compagnie Livestream, l'une des principales plateformes permettant la diffusion en direct sur internet, utilise le slogan « it's different when it's live » sur la page principale de son site web. Cette formule démontre explicitement que la caractéristique primordiale du «live streaming», la diffusion en temps réel, distingue le processus d'une simple vidéo. L'adéquation entre le temps de celui qui observe et le temps de l'objet médié a deux effets principaux.

Premièrement, la vidéo semble véridique au spectateur, car aucune coupure ou montage n'est possible dans les conditions du «livestream». Il est difficile, voire impossible, d'altérer, de déformer, de sélectionner les éléments qui seront diffusés de cette manière sur internet. La diffusion en temps réel et en continu, tout comme le cadre fixe de la caméra, assurent une certaine transparence à l'égard de l'objet qui est filmé. Conséquemment, ce qui est observé par le spectateur est garant d'une certaine vérité, car il ne peut s'agir d'une fiction ou d'un trucage. Autrement dit, le parallélisme entre le temps de l'objet et le temps vécu par le sujet donne à ce dernier l'impression d'observer la réalité.

Deuxièmement, l'instantanéité d'un événement diffusé de cette manière permet au spectateur de s'inclure dans l'action qui est en train de se dérouler. Même si l'événement est minime ou sans importance, le spectateur a le sentiment d'être le témoin privilégié de ce qui se déroule sur son écran. La possibilité d'observer un événement hors de l'ordinaire, un accident par exemple, mais aussi le quotidien le plus banal des individus filmés, structure l'observation qui est faite de cette «réalité» médiée par le «live streaming». Une certaine forme de voyeurisme est donc sous-jacente à la diffusion en continu de notre monde.

Le phénomène du «livestream» apparait ainsi comme l'un des derniers jalons d'une tentative fantasmée de posséder le monde dans son entièreté. À la suite de Google Map, le «livestream» participe à une uniformisation du monde en nous donnant à voir les aspects les plus banals et futiles du quotidien.

Auteur·e·s (Encodage): 
Messier, Vincent